Nouakchott, mai 2025 – La Mauritanie intensifie sa lutte contre l’immigration irrégulière. Entre janvier et avril 2025, plus de 30 000 migrants ont été interceptés sur son sol, selon des données officielles rapportées par le quotidien espagnol El Pais. Sur la même période, pas moins de 88 réseaux de passeurs ont été démantelés, illustrant la nouvelle fermeté des autorités mauritaniennes face à ce phénomène migratoire devenu structurel.
Aux portes de l’Europe, la Mauritanie est devenue, depuis la fin de l’année 2023, l’un des principaux points de départ vers l’archipel espagnol des Canaries. Une route migratoire longue, périlleuse, mais jugée moins surveillée que les autres, notamment celles de Libye ou du Maroc. Ce changement géographique s’explique en partie par le renforcement de la coopération entre Rabat, Alger et Madrid, qui a entraîné une répression accrue sur les routes traditionnelles du Maghreb.
Des opérations musclées dans tout le pays
La réponse mauritanienne, elle, se veut rapide et visible. Multiplication des patrouilles policières, fouilles dans les maisons, arrestations ciblées dans les quartiers populaires, barrages routiers renforcés sur les principaux axes du pays : les mesures se sont intensifiées depuis le début de l’année.
« Il y a des refoulements tous les jours. La police arrête même des gens dans leurs maisons, des hommes lorsqu’ils vont au travail« , témoignait récemment Abdoulaye Diallo, président de l’association Ensemble pour un avenir meilleur, basée à Nouakchott, au micro d’InfoMigrants.
La capitale, mais aussi les villes de Nouadhibou, Rosso et Kaédi, sont particulièrement touchées par ces campagnes de contrôle. Nombre de migrants, originaires d’Afrique de l’Ouest (Sénégal, Mali, Côte d’Ivoire, Guinée), mais aussi du Sahel ou de l’Afrique centrale, transitent par la Mauritanie dans l’espoir de rejoindre l’Europe.
Pressions internationales et accords bilatéraux
Ce durcissement de la politique migratoire mauritanienne s’inscrit dans le cadre d’une coopération renforcée avec l’Union européenne, et notamment avec l’Espagne. Nouakchott bénéficie d’un soutien financier et logistique important de la part de Madrid pour juguler les flux migratoires. Des patrouilles conjointes, une assistance technique pour le contrôle des frontières, et un appui dans les reconduites sont autant de leviers utilisés dans cette coopération.
Le ministre espagnol de l’Intérieur, Fernando Grande-Marlaska, s’est d’ailleurs rendu en Mauritanie en février dernier pour saluer l’ »efficacité » des mesures prises par les autorités mauritaniennes.
Un climat de peur chez les migrants
Mais cette politique de fermeté a un coût humain. Des ONG locales et internationales dénoncent des arrestations arbitraires, des expulsions collectives et un climat de peur généralisé dans les communautés de migrants. L’accès à l’assistance juridique, à la santé ou à l’hébergement reste très limité, surtout pour ceux en situation irrégulière.
La crainte d’être expulsé pousse certains à vivre dans la clandestinité, rendant leur quotidien encore plus précaire. D’autres choisissent de repartir, ou de tenter la traversée vers les Canaries, malgré les risques. Selon les derniers chiffres de Frontex, plus de 8 000 migrants sont arrivés dans l’archipel espagnol depuis le début de l’année, en grande partie depuis les côtes mauritaniennes.
Une situation durable ?
Pour l’instant, le gouvernement mauritanien assume pleinement cette orientation sécuritaire. Mais sur le terrain, de nombreuses voix s’élèvent pour réclamer une approche plus humaine, centrée sur la protection des droits fondamentaux des personnes migrantes.
Alors que la route atlantique reste l’une des plus meurtrières pour les candidats à l’exil, les observateurs s’inquiètent d’une politique uniquement répressive qui, sans alternatives viables ni filières légales de migration, pourrait aggraver les drames en mer.
Xolomo Tokpa