Plus d’un an après la reprise officielle des relations diplomatiques entre le Maroc et Israël, la contestation populaire ne faiblit pas. Bien au contraire, elle s’intensifie, portée par une vague militante de plus en plus organisée qui fait entendre sa voix jusque dans les infrastructures névralgiques du pays : les ports stratégiques.
La décision du royaume de normaliser ses relations avec l’État hébreu, officialisée en décembre 2020 dans le cadre des accords d’Abraham, continue de susciter de vives critiques dans une grande partie de la population. Ce rapprochement diplomatique, qui s’accompagne d’une coopération sécuritaire, économique et technologique, est perçu par de nombreux Marocains comme une trahison de la cause palestinienne.
Depuis plus d’un an, des manifestations régulières secouent les grandes villes du pays, souvent à l’initiative de collectifs citoyens, de syndicats ou de groupes islamistes modérés. Les pancartes brandies sont explicites : « Non à la complicité avec l’oppresseur », « Solidarité avec Gaza », ou encore « Le peuple marocain est contre la normalisation ».
Mais la contestation a récemment pris une tournure plus concrète et ciblée : des groupes de militants appellent désormais à bloquer l’accès aux ports marocains aux navires soupçonnés de transporter du matériel militaire destiné à Israël. Une attention particulière est portée à la compagnie danoise Maersk, dont les cargos sont accusés de contribuer indirectement à l’effort militaire israélien.
Cette entreprise logistique, l’une des plus importantes au monde, transporte notamment des composants électroniques et mécaniques utilisés dans la fabrication du F-35 de Lockheed Martin, dans le cadre d’un programme de coopération en matière de sécurité mené par le département américain de la Défense. Ce programme facilite les ventes d’armes à des pays alliés, dont Israël fait partie.
Les militants s’appuient sur l’exemple de l’Espagne, où des dockers avaient refusé, en 2024, de charger ou de décharger certains navires impliqués dans le transport d’équipements militaires vers Israël. Ils espèrent que les syndicats marocains suivront cette voie, bien que les pressions gouvernementales soient plus fortes dans le royaume.
Pour le gouvernement marocain, cette mobilisation représente un dilemme stratégique. D’un côté, Rabat cherche à consolider ses alliances diplomatiques, notamment avec Washington et Tel-Aviv, dans une logique de sécurisation de ses intérêts au Sahara occidental. De l’autre, l’hostilité croissante de la rue pourrait fragiliser la stabilité intérieure.
Les autorités gardent pour l’instant le silence sur les accusations visant les ports, tout en maintenant un discours favorable à la paix, plaidant pour une solution à deux États au conflit israélo-palestinien. Mais la colère ne cesse de monter, surtout après les dernières opérations militaires israéliennes à Gaza, qui ont ravivé l’indignation dans le monde arabe.
Certains analystes craignent que cette contestation portuaire n’évolue vers une désobéissance civile logistique plus large, impliquant les travailleurs portuaires, les syndicats des transports, et même certaines autorités locales. Si de tels blocages venaient à se concrétiser, ils pourraient affecter non seulement les flux militaires, mais aussi les échanges commerciaux généraux du royaume.
Pour l’heure, les autorités tentent de contenir les manifestations tout en évitant une escalade. Mais une chose est claire : la fracture entre les orientations géopolitiques du gouvernement et les sentiments d’une partie importante de la population s’élargit, et les ports marocains sont désormais devenus le théâtre d’un bras de fer symbolique entre diplomatie et souveraineté populaire.
Xolomo Tokpa