Au cœur du Sahel, le Mali fait un choix aussi radical que controversé : suspendre la démocratie au nom de la lutte contre le terrorisme. Le gouvernement militaire, dirigé par le général Assimi Goïta, vient d’obtenir cinq années supplémentaires au pouvoir – sans passer par les urnes. Un mandat renouvelable, validé par un parlement entièrement nommé par l’armée.
Ce pari soulève une question cruciale : peut-on vraiment vaincre l’extrémisme en mettant de côté la démocratie, ou bien est-ce là une erreur stratégique qui affaiblira davantage un pays déjà en crise ?
Le poids d’une décennie de guerre
Depuis plus de dix ans, le Mali est ravagé par une insurrection djihadiste menée par des groupes affiliés à Al-Qaïda et à l’État islamique. Malgré la succession de gouvernements élus, la situation sécuritaire n’a cessé de se détériorer. La corruption, l’inefficacité de l’administration et l’échec des interventions étrangères, notamment celles de la France et des Nations unies, ont contribué à une perte de confiance généralisée.
En mai 2025, près de 380 000 Maliens étaient déplacés à l’intérieur du pays, témoignant de l’ampleur du désastre humanitaire.
Goïta : du coup d’État à la présidence militaire
C’est dans ce climat chaotique qu’Assimi Goïta, alors colonel, prend le pouvoir par un premier coup d’État en 2020, suivi d’un second en 2021. Promettant un retour rapide à la démocratie, il ne cessera de repousser les échéances, jusqu’à la suspension pure et simple du processus électoral.
Aujourd’hui, le régime s’inscrit dans une logique de pouvoir prolongé, en rupture totale avec l’ordre constitutionnel.
Une nouvelle alliance géopolitique
L’un des actes les plus marquants de Goïta fut la rupture avec la France, suivie du retrait du Mali de la CEDEAO, qu’il accuse d’ingérence. Il s’est ensuite tourné vers un partenariat stratégique avec la Russie, via le groupe Wagner puis l’Africa Corps. L’objectif affiché : restaurer la souveraineté malienne en combattant les djihadistes sans influence étrangère jugée néocoloniale.
Mais ce changement d’alliés a-t-il porté ses fruits ?
Un bilan sécuritaire toujours catastrophique
Malgré le renforcement militaire, les résultats sont peu concluants. Les attaques djihadistes ont redoublé d’intensité. En juin 2025, le GSIM (Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans) a revendiqué la mort de dizaines de soldats maliens dans le nord du pays. De vastes régions échappent toujours au contrôle de l’État.
L’escalade de la violence montre que le partenariat russo-malien ne suffit pas à inverser la tendance.
La démocratie en état de mort clinique
En parallèle, les libertés publiques s’effondrent. En mai 2025, tous les partis politiques ont été dissous. Les médias sont muselés, la société civile est réprimée, et toute voix dissidente réduite au silence.
Pourtant, une démocratie fonctionnelle avec une presse libre et une société civile forte est un atout fondamental contre le terrorisme. En les éliminant, la junte compromet ses propres chances de succès.
Le Mali, figure centrale d’un basculement régional
Le cas malien n’est pas isolé. Le Burkina Faso et le Niger ont suivi une trajectoire similaire. Ensemble, les trois pays forment l’Alliance des États du Sahel (AES). Ce bloc militaire rejette l’influence occidentale, renforce les liens avec la Russie et tente de redessiner le paysage sécuritaire régional.
Mais cette stratégie commune reste fragile : le manque de coordination et la méfiance des populations locales risquent d’être exploités par les groupes armés.
Un pari risqué, un avenir incertain
En prolongeant le mandat du général Goïta, le Mali fait le pari que l’autoritarisme pourra faire ce que la démocratie a échoué à accomplir. Mais à ce jour, les faits montrent une insécurité grandissante, une crise humanitaire plus profonde, et un isolement diplomatique inquiétant.
Sans retour au pluralisme politique et à l’inclusion citoyenne, le Mali risque de perdre bien plus que sa démocratie. Il pourrait perdre son âme.
Xolomo Tokpa

