« Certains d’entre nous sont morts sous les coups ou ont péri dans les flammes. »
Ce ne sont pas les mots d’un roman, mais le souvenir glaçant d’un survivant de la guerre civile au Libéria. Entre 1989 et 2003, ce pays d’Afrique de l’Ouest a traversé deux guerres sanglantes, causant environ 250 000 morts et des millions de vies brisées.
Pendant plus de vingt ans, les responsables de ces atrocités ont vécu en toute impunité, devenant des voisins, des hommes d’affaires, parfois même des politiciens. Mais une décision historique pourrait tout changer : la création d’un tribunal pour les crimes de guerre et économiques. Une avancée majeure ou un pari dangereux pour la paix fragile du pays ?
Un Passé Ignoré : Pourquoi un Tribunal Aujourd’hui ?
En 2009, la Commission Vérité et Réconciliation publiait un rapport choc recommandant la création d’un tribunal spécial. Cette proposition est restée lettre morte pendant plus d’une décennie, car les anciens chefs de guerre, devenus influents, bloquaient toute tentative de justice au nom de la stabilité.
En mai 2024, le président Joseph Boakai a brisé ce tabou en signant un décret pour lancer un tribunal hybride, composé de magistrats libériens et internationaux. L’objectif : juger les crimes économiques et les crimes de guerre, et rompre définitivement avec la culture de l’impunité.
Un Tribunal pour Guérir ou Pour Diviser ?
L’annonce a suscité à la fois espoir et inquiétude. Pour les victimes et les défenseurs des droits humains, c’est une victoire : enfin, la possibilité de voir les responsables répondre de leurs actes. « Sans vérité, pas de justice. Sans justice, pas de paix durable », répètent-ils.
Mais les risques sont réels. Certains anciens chefs de guerre disposent encore de réseaux armés et menacent de replonger le pays dans la violence. D’autres craignent que ce tribunal devienne une « justice des vainqueurs », politisée et partielle.
Le Débat Central : Justice contre Stabilité ?
- Les partisans de la justice estiment que ce tribunal est une obligation morale et la seule voie pour briser le cycle de la violence.
- Les partisans de la prudence redoutent une déstabilisation et préfèrent investir dans le développement et la réconciliation communautaire.
L’ex-présidente Ellen Johnson Sirleaf a elle-même exprimé ses doutes, estimant qu’un tel processus pourrait fragiliser la paix actuelle.
Les Conditions d’un Succès
Pour éviter un échec, trois conditions sont cruciales :
- Indépendance du tribunal : éviter toute instrumentalisation politique.
- Protection des victimes et témoins : garantir leur sécurité est vital.
- Accessibilité nationale : la justice doit se rendre visible dans toutes les régions, pas seulement à Monrovia.
Parallèlement, des programmes de réparation, d’éducation à la paix et de développement économique doivent accompagner le processus.
Une Campagne pour Préparer la Nation
Le 19 juillet 2025, le Bureau pour l’établissement d’un tribunal (OWECC) a lancé une campagne nationale de sensibilisation, en partenariat avec la CEDEAO et des ONG. Objectif : informer les Libériens et bâtir un consensus national. « Nous devons être dans chaque coin du pays », a martelé le directeur Jallah Barbu.
Conclusion : Un Pari Audacieux
Le Libéria mise sur la justice, plus de vingt ans après la guerre. Le chemin sera long, coûteux et douloureux. Mais ignorer le passé, c’est maintenir une paix illusoire.
Ce tribunal sera-t-il la pierre angulaire d’une réconciliation durable ou l’étincelle d’un nouveau chaos ? L’avenir du pays en dépend.
Xolomo Tokpa

