Éviter le choc fiscal et aller de l’avant : tel est le défi crucial auquel fait face la Direction Générale des Impôts (DGI), à l’heure où la fiscalité nationale apparaît comme un levier indispensable pour soigner les maux économiques profonds du pays.
« La politique fiscale occupe une position charnière entre la politique budgétaire et la technique fiscale », rappelle un expert du domaine. Elle commence là où s’arrête la politique budgétaire, et s’inscrit en Guinée dans une tradition de méfiance vis-à-vis de l’imposition directe des revenus et patrimoines. Cette posture historique contraint l’État à rechercher des ressources ailleurs, particulièrement en temps de crise.
Une histoire fiscale marquée par la domination et l’opacité
Sous la colonisation, le « pacte colonial » était un système d’exploitation asymétrique, conçu pour enrichir la métropole au détriment des colonies. La Guinée devait équilibrer son budget localement, sans peser sur la métropole. Le commerce inégal — exportation à bas prix des matières premières brutes et importation à prix fort de produits manufacturés — illustrait cette logique. Les grands chantiers coloniaux (cueillette, plantations, puis exploitation minière) obéissaient à cette dynamique, dans un contexte fiscal oppressif et autoritaire.
Après l’indépendance, la Guinée connut un élan d’ »ingéniosité fiscale » sous la première République, avec des propositions d’impôts aussi variées qu’insolites : taxe sur les billards, sur les célibataires, sur les domestiques, les vélos ou encore les pianos — considérés alors comme des signes extérieurs de richesse. Ces initiatives traduisent surtout l’embarras à asseoir une fiscalité structurée et équitable.
Sous la deuxième République et au-delà, on a assisté à une multiplication des taxes, souvent improvisées : taxe sur les biens oisifs, TVA, droits divers… Ce foisonnement fiscal traduit moins une volonté de réforme cohérente qu’une forme d’évitement politique. En l’absence de débat démocratique clair sur la fiscalité, on préfère des prélèvements indirects, difficilement lisibles, qui pèsent discrètement sur les consommateurs.
Une fiscalité sans vision : un danger pour la démocratie
Il est illusoire de croire qu’une simple « règle d’or » suffira à redresser les finances publiques. Ce qu’il faut, c’est une volonté politique forte et une stratégie fiscale lisible. Faute de quoi, le pays court le risque d’un effondrement démocratique. Une démocratie incapable de maîtriser ses finances publiques est exposée à la tentation autoritaire. La Guinée n’échappe pas à cette menace.
Aujourd’hui encore, les dirigeants paraissent désorientés. Certains pensent qu’un retour à une forme de « socialisme libéral » permettrait d’atteindre l’équilibre budgétaire, de lutter contre la corruption et de contenir l’inflation. Mais cette approche suppose un changement de paradigme, car elle entre en contradiction avec l’ordre économique actuel. En vérité, la complexité volontaire du système fiscal guinéen nuit à la transparence et alimente une crise de confiance.
Une longue liste de ministres… pour des résultats insuffisants
Depuis la première République jusqu’à la transition actuelle, la Guinée a vu se succéder de nombreux ministres des Finances : de Ismael Touré à Ibrahima Kassory Fofana, en passant par Amadou Camara, Karfala Yassane, Mohamed Diaré, Mohamed Lamine Doumbouya, Ismaël Dioubaté, Moussa Cissé, Lanciné Condé, et aujourd’hui Facinet Sylla. Pourtant, les résultats restent décevants.
Le pays est au bord de la faillite économique. Près de 80 % de la population est au chômage, et les retombées de la rente minière n’ont pas encore amélioré le quotidien de la majorité des citoyens. Pire, les Guinéens ressentent une érosion continue de leur pouvoir d’achat depuis l’indépendance.
Dans un pays de plus de 15 millions d’habitants, environ 6,7 millions de familles vivent avec moins de 85 dollars par mois, tandis qu’un dixième de la population concentre à lui seul 90 % des richesses nationales. Pourquoi tant de misère dans un pays si riche ? Comment expliquer cette politique fiscale à des dirigeants qui dépendent en permanence de l’aide extérieure ?
Dr Mamadou Aliou Bah, Inspecteur principal des Impôts

