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vendredi 9 mai 2025

Burkina Faso : Ibrahim Traoré, héros virtuel d’une jeunesse frustrée

Ouagadougou – Le capitaine Ibrahim Traoré, chef de la junte au pouvoir au Burkina Faso depuis septembre 2022, ne règne pas seulement sur le terrain politique et militaire. Il est aussi devenu, ces derniers mois, le centre d’un culte numérique soigneusement orchestré, qui le hisse au rang de héros panafricain et de symbole de la résistance anti-impérialiste. Mais derrière cette image glorifiée alimentée par les algorithmes, les deepfakes et les montages viraux, la réalité du pays reste bien plus nuancée.

Une image façonnée par l’intelligence artificielle

Depuis son arrivée au pouvoir à l’âge de 34 ans, le plus jeune dirigeant au monde a vu son image être métamorphosée en ligne. Des images générées par l’IA le montrent brandissant des drapeaux panafricains, affrontant des dirigeants occidentaux dans des photomontages fantasmés, ou encore auréolé de lumière comme un libérateur de l’Afrique. Des vidéos modifiées circulent sur TikTok, Facebook et YouTube, créant un univers visuel flatteur et conquérant, bien loin des réalités du terrain.

Ces contenus, souvent relayés par des influenceurs et des partisans anonymes, s’inscrivent dans une dynamique de propagande numérique inédite au Burkina Faso. Ils visent à nourrir un récit de rupture avec l’Occident, à glorifier la souveraineté nationale et à incarner l’espoir d’une jeunesse africaine en quête de dignité et de changement.

Un engouement populaire… vidé de substance politique ?

Le discours de Traoré, centré sur l’auto-détermination, l’expulsion des forces françaises et le rapprochement avec d’autres régimes militaires comme ceux du Mali et du Niger, trouve un écho auprès d’une frange croissante de jeunes Africains désillusionnés. L’imagerie virale qui l’entoure transcende les frontières burkinabè et le place dans la lignée des figures historiques comme Thomas Sankara.

Pourtant, derrière le mythe numérique, peu de réformes structurelles ont vu le jour. Si certaines mesures, comme l’augmentation des salaires de la fonction publique ou la dénonciation des accords militaires coloniaux, ont été saluées, les promesses d’un renouveau profond peinent à se concrétiser. Les conditions de vie restent précaires et les zones rurales vivent toujours sous la menace permanente des groupes armés.

Une stratégie de communication qui étouffe la critique

Ce culte numérique n’est pas sans conséquences. Les critiques à l’encontre de Traoré, qu’elles viennent de journalistes, de militants ou de citoyens, sont souvent la cible de cyberharcèlement organisé. Sur les réseaux sociaux, les opposants au régime sont rapidement accusés de trahison, insultés, voire menacés. Des campagnes coordonnées visent à discréditer toute voix dissonante, installant un climat d’autocensure et de peur.

Ce verrouillage numérique de l’espace public burkinabè renforce la popularité de façade du capitaine, tout en marginalisant les débats démocratiques. La liberté d’expression, pourtant essentielle à toute reconstruction nationale, est ainsi menacée par la virulence d’une propagande 2.0.

Conclusion : une icône construite, un pays encore fragile

Le capitaine Ibrahim Traoré est aujourd’hui autant un produit de la technologie que de la politique. Son image d’icône panafricaine repose davantage sur des effets visuels et une rhétorique séduisante que sur des résultats concrets pour le peuple burkinabè. Le défi pour lui sera de faire correspondre cette popularité numérique avec des avancées tangibles sur le terrain, notamment en matière de sécurité, de gouvernance et de réconciliation nationale.

La jeunesse africaine qui le suit avec ferveur attend plus qu’un symbole : elle exige des actes.

Xolomo Tokpa

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