Alors que le ministère guinéen des Mines s’apprête à prendre une décision imminente concernant l’octroi du permis minier d’Axis, Ahmed Kanté, ancien haut fonctionnaire devenu homme d’affaires, se retrouve au cœur d’un dossier judiciaire complexe mêlant accusations d’abus de confiance, de conflits d’intérêts et de manœuvres juridiques.
L’affaire prend racine dans les activités d’Ahmed Kanté lorsqu’il dirigeait la Soguipami, période durant laquelle il a collaboré avec plusieurs acteurs majeurs du secteur minier, dont Eurasian Resources, Axis et GBT. La situation a basculé lorsque M. Kanté est devenu actionnaire de la Guinea Investment Corporation (GIC), société qui a succédé à ABC dans le développement des gisements miniers de GBT et Axis.
RELATED POSTS
Semaine de l’indépendance : la culture à l’honneur à la plage de Camayenne
Guinée : la coordinatrice de Kaloum, Mme Makhissa Camara demande au président Mamadi Doumbouya de se porter candidat à l’élection présidentielle
Ce changement a déclenché une série de procédures judiciaires. ABC, partie civile, appuyée par le procureur du tribunal de Kaloum, a porté plainte contre Ahmed Kanté et ses associés, Claude Lorcy et Philip Roger, pour abus de confiance et concurrence déloyale.
Malgré des témoignages accablants et une défense sans preuves solides, le tribunal de première instance avait dans un premier temps statué en faveur de M. Kanté.
Au cours de l’instruction, Claude Lorcy a reconnu avoir participé aux montages contestés. Ses déclarations, versées au dossier, révèlent que la GIC a été créée dans le but d’évincer ABC, à l’instigation de M. Kanté. S’estimant par la suite marginalisé au sein de la GIC, qu’il avait cofondée avec Ahmed Kanté, M. Lorcy a porté l’affaire devant la Cour de répression des infractions économiques et financières (CRIEF), accusant son ancien partenaire d’abus de confiance ainsi que de faux et usage de faux.
Dans un premier temps, le juge d’instruction de la CRIEF avait rendu une ordonnance de non-lieu. Mais la Cour d’appel, saisie par les parties civiles, a infirmé cette décision, reconnu Ahmed Kanté coupable d’abus de confiance et ordonné la reprise intégrale des investigations.
Parallèlement aux procédures judiciaires, Ahmed Kanté a lancé une contre-offensive médiatique. Lors d’une conférence de presse, il a proclamé son innocence totale, affirmant avoir gagné tous ses procès. Mais plusieurs éléments clés ont été occultés :
• Le parquet de Kaloum et ABC ont interjeté appel du jugement de première instance, en produisant de nouvelles preuves.
• L’épouse de Claude Lorcy, ayant repris le dossier à la CRIEF, a également fait appel de l’ordonnance de non-lieu.
• Les procédures judiciaires sont toujours en cours et les charges contre Ahmed Kanté restent actives.
Le 2 septembre, la Cour d’appel a rendu une décision majeure en condamnant Ahmed Kanté pour abus de confiance. Elle a également mis en lumière les conditions controversées de la création de la GIC, révélant que les actionnaires officiels n’étaient que des prête-noms désignés par M. Kanté, lequel aurait tiré un bénéfice personnel de l’opération.
Ces révélations renforcent considérablement les accusations du parquet et d’ABC, tout en fragilisant la crédibilité des déclarations de M. Kanté devant les tribunaux.
Cette affaire judiciaire se déroule dans un contexte hautement stratégique : Ahmed Kanté cherche à récupérer le permis minier du projet Axis, auparavant retiré par le gouvernement en raison des turbulences liées à sa restructuration. Sa société AGB2A-GIC a officiellement déposé une demande pour ce permis.
Cette situation pose une question cruciale pour le ministère des Mines et de la Géologie :
Est-il légitime d’octroyer un permis minier à une société dirigée par un ancien haut fonctionnaire – ex-directeur de la SOGUIPAMI et ancien conseiller de sociétés désormais dissoutes – devenu propriétaire du projet, tout en étant poursuivi dans deux juridictions pénales (tribunal criminel de Kaloum et CRIEF) ?
Il convient de rappeler que le procureur Youssouf Fofana au TPI de Kaloum a fermement condamné ce qu’il a qualifié de « banditisme intellectuel » et d’abus de confiance aggravé, accusant l’ancien ministre d’avoir exploité à des fins personnelles des informations confidentielles obtenues durant ses fonctions publiques, sans avoir apporté ni investissement financier ni expertise technique au développement du projet.
Pour de nombreux observateurs, il s’agit là d’un cas flagrant de conflit d’intérêts, en contradiction avec les principes fondamentaux de la gouvernance publique. Par ailleurs, les enquêtes criminelles portant sur les accusations de détournement de projet visant M. Kanté et la GIC sont toujours en cours.
Au-delà du cas personnel d’Ahmed Kanté, ce dossier engage directement la crédibilité de l’État de droit en Guinée. La communauté minière, nationale et internationale, suit de près l’évolution de l’affaire, espérant une justice indépendante, capable de résister aux pressions politiques et économiques.
Le ministère des Mines et de la Géologie devra trancher prochainement : céder aux pressions ou privilégier l’intérêt général et la transparence, conformément aux principes de bonne gouvernance.
Par M. Diallo

